Chapitre 44
Néomi rêvait qu’elle flottait et traversait les murs de nouveau. Mais elle aurait aimé se réveiller, parce qu’elle avait dans la bouche un goût de… fumée ?
Elle eut soudain du mal à respirer, se mit à suffoquer.
La fumée était partout. Dans un demi-sommeil, elle perçut les flammes, tout autour d’elle, sentit leur chaleur.
Un incendie ! Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à me réveiller ?
La tête lui tournait… Besoin d’air frais…
Enfin, elle parvint à ouvrir les yeux. Et les referma, incrédule.
La pièce était noire de fumée ; les flammes léchaient les murs, montaient jusqu’au plafond. Les poutres, au-dessus d’elle, gémissaient sous leur assaut.
— Néomi !
Conrad ! Il était rentré ? À travers les flammes, leurs regards se croisèrent. Au même moment, une poutre céda, et une partie du plafond tomba entre eux.
Conrad se rua en avant pour la faire glisser hors de la pièce, mais n’y parvint pas. Ses bras s’étaient refermés sur le vide. Lorsqu’il échoua une seconde fois, il plongea dans les flammes, écartant de son passage les poutres rougeoyantes.
Pourquoi semblait-il horrifié ? Elle n’était pas blessée, n’avait même pas une égratignure. À vrai dire, elle ne sentait rien. Rien du tout.
Puis elle baissa les yeux. Non. Non ! Le bas de son corps était pris dans l’enchevêtrement de poutres et de planches tombées du plafond. Elle était écrasée. Pourquoi suis-je encore consciente ? Pourquoi n’ai-je pas mal ?
Elle comprit alors.
Je suis morte… encore une fois ?
Elle avait retrouvé son incorporalité et portait sa vieille robe noire, ses bijoux d’avant…
Un bruit fracassant lui fit lever la tête. Le plafond de la chambre avait presque totalement disparu, et le toit était à son tour la proie des flammes. Déjà, il s’affaissait par endroits. Les énormes poutres se mirent à tomber l’une après l’autre, javelots de flammes venant se planter dans le plancher.
Conrad cherchait toujours à la rejoindre. Il évita une poutre, deux…
— Conrad ! Non !
La troisième le cloua sur le sol. Quelques secondes plus tard, le toit s’effondra sur lui et l’ensevelit. Néomi hurla et se précipita pour tenter de le dégager, flottant entre les flammes, entre les débris.
Elle ne le trouvait pas, ne le voyait pas ! Puis, à ses pieds, un ruisselet de sang se mit à couler d’un amoncellement de débris.
Cade connaissait bien l’endroit où il se trouvait ce soir. Assis au bord du toit d’un immeuble du centre-ville, il surplombait l’appartement de sa femelle, dans l’immeuble voisin, et pouvait aisément observer son loft avec piscine, au dernier étage.
Cade n’avait pas prévu de venir, ce soir, mais le besoin de la voir avait été plus fort.
Elle était là, sur la terrasse. Holly Ashwin.
Sa Holly chérie. C’était une forte en maths qui portait des lunettes, pas de maquillage et un chignon strict, mais qu’il trouvait plus sexy que toutes les femmes qu’il avait jamais rencontrées.
Comme chaque fois, il resta interdit devant ses manies. Elle était en train de nettoyer un appartement déjà impeccable. Bizarres, ces humains, tout de même.
Elle aurait piqué une syncope si elle avait pu voir où il vivait. Ils étaient décidément à l’opposé l’un de l’autre sur bien des points.
Holly était érudite, il était inculte. Sa vie était organisée dans les moindres détails ; Conrad n’avait d’autre programme que se lever, manger, faire des trucs, dormir, rien de tout cela n’étant obligatoire.
Elle ne buvait même pas, songea-t-il en avalant une gorgée de sa bière.
Avait-elle des invités, ce soir ? Son connard de petit ami, peut-être ? Cade serra les poings. Au même moment, il entendit des pas.
Enfoiré de Rydstrom. Son frère l’avait retrouvé.
— Qu’est-ce que tu fous ici ? demanda Cade.
— Je te retourne la question, répondit Rydstrom en lui lançant un regard déçu.
Tiens, je le connaissais pas, celui-là.
— Tu m’avais dit que tu ne viendrais plus ici.
— J’ai eu une rechute, grommela Cade.
— Les humaines nous sont interdites, et il y a une raison à cela. Si tu ne t’es pas encore mis ça dans le crâne, il faudrait que tu y travailles. Ce qui s’est produit avec l’épouse du vampire montre justement pourquoi mortels et immortels ne devraient jamais se fréquenter.
— Es-tu seulement sûr que Néomi est morte ?
— Oui, dit Rydstrom. J’ai demandé à Nïx.
Pourquoi les mortels meurent-ils si facilement ? Un tout petit coup d’épée de rien du tout, et elle avait rendu l’âme à jamais. Elle ne méritait pas de mourir comme ça.
— Elle est morte, et maintenant, son vampire sillonne le monde à la recherche de quelque chose qui m’appartienne et qu’il pourrait détruire, fit Cade, songeur.
« Tu paieras mille fois, démon », avait juré Wroth.
Chercher à nouer des liens avec Holly maintenant, c’était la condamner à mort.
— Cela te fait une raison de plus de résister à la tentation, dit Rydstrom. Tu dois l’oublier.
— Tu crois que je n’ai pas essayé ? Tu crois que je ne me rends pas compte du ridicule de la chose ? Je craque pour une humaine qui a mille ans de moins que moi !
— Par conséquent, c’est une bonne chose que nous quittions définitivement cette ville. Nïx nous donne une dernière occasion de détruire Omort – un boulot à faire pour elle. C’est notre dernier espoir de récupérer ma couronne.
— C’est quoi, le plan ? demanda Cade, même s’il s’en fichait royalement.
Il aurait accepté n’importe quelle mission pour se changer les idées, oublier ce qu’il avait infligé à Néomi et ce qu’il était tenté de faire à Holly. Même Nïx n’avait pas deviné ses projets.
— Nous aurons des instructions dans la semaine. Tiens-toi prêt à partir dans les plus brefs délais.
— Je suis toujours prêt, soupira Cade.
— Je le répète, mon frère. C’est notre dernière chance. Je dois être certain que tu auras la tête à ce que tu fais.
— J’ai dit que je serais prêt ! Le boulot sera fait, quel qu’il soit.
Cade se leva et regarda Holly.
Une dernière fois.
Après un long regard en direction de sa femelle, Cade sauta du toit. À peine eut-il disparu dans la nuit que Nïx apparut sur les dernières marches de l’escalier du toit et rejoignit Rydstrom.
— Alors, comment a-t-il réagi ?
Rydstrom la regarda, pas surpris une seconde qu’elle les ait trouvés.
— Tu ne le sais pas ?
— Je suis savante, mais…
— … tu ne sais pas tout, oui, oui, soupira Rydstrom. Cade a juré de faire son devoir.
Lorsqu’elle vit Holly, Nïx la fixa de son regard doré, et ses pupilles se dilatèrent.
— Et s’il découvre que Néomi est encore en vie ?
— Lui mentir me pèse beaucoup. Es-tu certaine que je ne peux pas le lui dire ?
Nïx le regarda.
— J’ai refait cent fois le chemin sur l’arbre de la décision. Des milliards d’événements descendent de cette fourche décisionnelle : lui dire ou pas. Il doit en être ainsi.
— Donc, tu as vu mon avenir ?
— En partie. C’est du lourd. Top qualité.
— Raconte.
Elle eut un soupir agacé.
— Franchement, Rydstrom, un jour, il faudra que tu apprennes à demander. En attendant, j’ai un truc à faire. Faut que j’y aille. Un mystère doit m’être révélé ce soir, je frémis d’impatience !
— Tu ne peux pas partir comme ça ! Et si nous avons besoin de te contacter ?
Elle lui sourit, mais son regard était déjà vide, son esprit ailleurs.
— Tu es trop gourmand, démon. Et Nïx ne peut pas être partout.